Faute de véritable concertation avec les citoyens, le Conseil constitutionnel vient de déclarer illégales les dérogations accordées aux agriculteurs pour pulvériser au plus près des zones habitées.
Tout juste adoptées et déjà retoquées. En Deux-Sèvres comme ailleurs, les dérogations relatives à l’usage des pesticides à proximité des habitations viennent d’être jugées hors-la-loi par le Conseil constitutionnel. Autrement dit, il est désormais interdit aux exploitants de pulvériser à moins de cinq mètres des terrains résidentiels qui bordent leurs parcelles, conformément aux limites définies par l’arrêté du 27 décembre 2019 et en vigueur depuis le 1er janvier 2020 (voir infographie).
Rendue publique le 19 mars dernier, cette décision fait suite à la saisine de huit associations et syndicats qui pointaient du doigt l’élaboration des chartes locales d’engagements visant à réduire les zones de non-traitement. Dans le département, la profession agricole était, ainsi, autorisée à épandre des produits phytosanitaires jusqu’à 3 m suivant les cultures et la nature des substances utilisées. Ces entorses validées par le préfet le 15 juillet 2020 n’ont plus lieu d’être.
« Arrêtons avec cet entre-soi du monde agricole dominant »
Les « Sages » sont allés dans le sens du collectif en considérant que les initiatives prises sur les territoires bafouaient l’article 7 de la Charte de l’environnement. L’institution fustige notamment le défaut de concertation des citoyens pour des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement.
Une prise de position qui ne surprend pas Benoît Jaunet. Eleveur bio à Nueil-les-Aubiers et co-porte-parole de la Confédération paysanne 79, ce dernier avait refusé de signer la charte de protection des riverains dès décembre 2019. Je l’avais dit ouvertement à la préfète de l’époque [Isabelle David, Ndlr] lors d’une session de la Chambre d’agriculture, il y a un vrai problème de méthodologie. Quand on parle d’une charte de protection des riverains et qu’il n’y en a aucun autour de la table, c’est un non-sens. Si on veut restaurer le dialogue et la confiance avec les citoyens, la moindre des choses, c’est de leur donner la parole et d’arrêter avec cet entre-soi de représentants du monde agricole dominant.
« Valorisons ces bouts de terre en vergers ou maraîchage »
Ce message, l’association Deux-Sèvres nature environnement (DSNE) l’avait également adressé à la profession lors d’une réunion organisée il y a un an. La Chambre d’agriculture nous avait sollicité sur le sujet, relate Yannick Maufras, le président. Même si nous n’avions pas vocation à figurer parmi les signataires, nous avions saisi l’occasion de faire part de nos préconisations. On leur avait indiqué que les discussions devaient être ouvertes aux citoyens et que les utilisateurs de pesticides devaient faire preuve de transparence vis-à-vis des habitants.
En vain. Si une consultation en ligne a bien eu lieu entre le 9 mai et le 14 juin, soit en pleine crise sanitaire, la participation comme la nature des contributions n’ont fait l’objet d’aucune restitution (*). Sur un sujet aussi concernant, on ne fait pas les choses en douce en plein confinement. Ce n’est pas à la hauteur des enjeux. Personnellement, j’y ai pris part mais je n’ai eu aucun retour. Et je ne suis pas la seule dans ce cas, s’indigne Joëlle Lallemand, la présidente de l’Association de protection, d’information et d’étude de l’eau et de son environnement (Apieee).
C’est regrettable mais c’est symptomatique d’un mode de fonctionnement très opaque », reprend Benoit Jaunet pour qui le système doit être repensé. On prend le problème à l’envers. Au lieu de vouloir réduire les zones de non-traitement à tout prix, regardons comment on peut valoriser ces bouts de terre en vergers ou en maraîchage. Et là, on aura l’écoute des riverains, estime le Bocain, convaincu que la solution reste d’en finir avec les pesticides. Tout le monde sait qu’ils sont toxiques et volatils. 5, 10, 20 m, c’est très insuffisant.
(*) Sollicitée, la Chambre d’agriculture dit avoir bien noté nos demandes. Mais pour l’heure, aucune réponse ne nous est parvenue.
« Arrêtez avec vos combines »
Seul maire de l’ex-Poitou-Charentes à avoir pris un arrêté anti-pesticides en octobre 2019, Daniel Barré salue la décision du Conseil constitutionnel. Ça ne change pas la face du monde mais c’est un bon signal. C’est une façon de dire au monde agricole d’arrêter avec ses petites combines et ses arrangements locaux, commente l’édile de Chizé, convaincu que la charte des riverains aurait dû être pilotée par l’Agence régionale de santé et non par la Chambre d’agriculture car on est face à un problème de santé publique ».
Interrogé sur son bras de fer judiciaire engagé avec la préfecture des Deux-Sèvres depuis la fin d’année 2019, Daniel Barré précise qu’il a décidé de stopper son action… pour le moment. J’ai compris que c’était voué à l’échec après la récente décision du Conseil d’État. Mais je vais réfléchir à d’autres angles d’attaque en lien avec les 120 autres maires qui ont pris des arrêtés.
La charte finalisée le 4 février
L’écriture de la charte de protection des riverains a démarré, il y a deux ans, à l’initiative de la Chambre d’agriculture des Deux-Sèvres. Les syndicats FNSEA, JA et Coordination rurale ont participé aux réunions comme les représentants du négoce (le Naca), des coopératives (Fédération départementale des coopératives agricoles), de la Coopérative d’utilisation des matériels agricoles (Cuma), des Entrepreneurs du territoire, de la Fédération départementale des groupements de développement agricole (FDGDA), de la Mutuelle sociale agricole (MSA), des filières viticole (fédération Anjou et Saumur) et arboricole (Syndicat des arboriculteurs des Deux-Sèvres).
L’Association locale des maires de France a également été associée à deux reprises. Une première mouture a été signée le 18 décembre 2019. Elle a, ensuite, été réactualisée après la consultation en ligne et approuvée par le préfet le 15 juillet 2020. Mais ce n’est que le 4 février 2021 que la charte a été finalisée… avant d’être suspendue le 19 mars.