Depuis sa maison de Missé (Thouars), le poète Jean-François Mathé partage ses modestes réflexions sur la période du confinement, avec la finesse de ses mots, de son regard et de sa sensibilité.
« Ce furent des jours ; encore des jours ; et des nuits peut-être ; mais vécues entre des parenthèses ; légères comme des rideaux ; qui s’écartent avant d’avoir rien retenu. » Ces mots aériens et magnifiques, nous pourrions parfaitement les utiliser pour parler du confinement sur lequel l’on vient de tirer, partiellement, un trait. Écrits il y a quelques années, ils font partie de l’ultime recueil du poète Jean-François Mathé, « Vu, vécu, approuvé » sorti à la rentrée 2019. À la lumière de ces mots, c’est une certitude : poète du temps et du silence, le Misséen, qui fêtera ses 70 printemps le 30 mai, avait quelque chose à nous dire sur cette période.
Comment avez-vous vécu vos semaines de confinement ?
Jean-François Mathé : « Je suis déjà dans l’intériorisation d’une vie rétrécie, en retrait. J’ai une nature qui s’adapte à la solitude, à la méditation. Mais j’ai toute une orientation vers les autres, le social. Je peux être longtemps solitaire, mais ça me fait rager de ne pouvoir contacter des amis proches que par des instruments faits pour le lointain. »
Ce confinement vous a-t-il inspiré des réflexions ?
« Justement, il a confirmé une sensation permanente dans ma poésie, la conviction que tout est fragile. C’est un virus, quelque chose d’imperceptible, qui met à genoux toute la planète, sans perspective de vaccin. Quelque chose qui met en échec une civilisation qui se croit invulnérable. Ce côté imprévu m’a ému, m’a choqué. Sans que cela n’entraîne un pessimisme particulier de ma part. »
Il faut le garder à l’esprit ?
« J’ai toujours été conscient de la fragilité. Nous ne possédons qu’entre parenthèses. Les gens partent sans prévenir. J’ai toujours gardé à l’esprit qu’il fallait être lucide. Il faut savoir qu’on est mortel, comme disait Montaigne : à tout instant possible. J’ai toujours tenu à ce devoir d’être lucide. Quand on est fataliste, on est toujours un peu moins pessimiste que certains. On s’attend au meilleur comme au pire. »
Le confinement est-il une période inspirante pour écrire ?
« Cela ne m’a pas inspiré de nouveaux poèmes. Nous avons eu une avalanche de poésies durant cette période. J’appelle cela de la poésie de circonstances. La poésie à tout cela ne peut rien. Ce n’est pas la peine d’ajouter des mots. Les mots attendus étaient ceux des médecins, des infirmières. Ce sont surtout ceux-là que j’ai écoutés, qui m’ont interpellé. La question que je me pose, c’est : est-ce qu’on aurait le courage de faire ça ? J’ai été prof, ce n’est pas que ce soit un métier confortable, il y a une fatigue nerveuse, mais je n’ai jamais eu affaire à une chose comme ça. »
Cela a pourtant offert du temps…
« Le confinement a causé un arrêt du temps ordinaire. J’ai beaucoup d’amis poètes qui ont été perturbés de ne plus vivre cette vie normale. S’ils ne vivent plus cette vie normale, la poésie en prend un coup aussi… il y a des différences individuelles. »
Le temps s’est-il arrêté pour vous ?
« Je me mets facilement dans une bulle. J’ai beaucoup voyagé, mais j’ai toujours aimé rentrer chez moi, non pas pour m’y enraciner, mais pour m’y poser. J’aime bien cette différence. Une fois que je me suis posé, mes voyages, c’est ce qui se passe dans ma tête. J’adore chanter. J’ai une guitare, même si je n’ai jamais été fichu d’écrire une chanson. Je suis toujours satisfait d’assez peu de choses. Ce qui me gêne dans le confinement, c’est que cela a enlevé des petites choses. C’est quand on ne les a plus qu’on se rend compte qu’elles sont précieuses. On croyait que c’était fade, et puis quand ça manque, on se dit que c’était l’ordinaire qui était pimenté. »
Quels enseignements pourrions-nous tirer de cette période ?
« Au deuxième jour de confinement, j’ai remarqué que des gens étaient heureux. Cela apprend que la nature humaine n’est pas faite pour être enfermée, soumise à des restrictions. Cela me confirme un peu l’image que j’ai de la société actuelle, où pour se sentir vivre, il faut se sentir en mouvement, en fête. Ça n’est pas ma nature, mais je le comprends. Je crois qu’il est encore trop tôt pour en tirer des conclusions, mais il y aura des conséquences psychiques à cet enfermement. Les psys vont avoir du boulot. Cela me donne un sentiment d’inquiétude pour une partie de l’humanité qui a souffert. »