L’élan annoncé pour le tourisme de proximité résistera-t-il à l’accélération du déconfinement ? Eléments de réponse avec Guillaume Cromer, consultant en tourisme responsable.
Il vit au pied des Alpes mais a une vue dégagée sur le tourisme de proximité. A 37 ans, Guillaume Cromer dirige le cabinet de conseil en marketing et prospective ID-Tourisme, à Grenoble. A ce titre, il accompagne des collectivités locales et des entreprises du secteur dans leur développement. L’enjeu est d’anticiper les évolutions, les changements de comportements des consommateurs, les crises, etc., résume cet adepte des voyages à l’impact carbone limité qui souhaite construire un tourisme durable, plus respectueux de la planète, plus positif pour les professionnels qui y arrivent et avec plus de sens pour les visiteurs ». Ce capitaine inspirant, qui préside également l’association nationale Acteurs du tourisme durable depuis 2013, fixe le cap à suivre pour le monde d’après.
Ces dernières semaines, on a beaucoup parlé de la vogue du tourisme de proximité. Selon vous, cet élan est-il à relier uniquement au contexte sanitaire ?
Guillaume Cromer : « Il est clair que la limite des 100 kilomètres a défini temporairement un cadre dans lequel chacun devait s’insérer. On n’avait pas le choix. Aujourd’hui, l’horizon s’ouvre complètement avec les dernières annonces du chef de l’État. On voit qu’on pourra circuler à nouveau librement dans l’Hexagone et se rendre à l’étranger où le virus est a priori maîtrisé. Est-ce que tout va voler en éclats ? Est-ce que le confinement a convaincu les Français qu’ils pouvaient s’évader en restant près de chez eux ou vont-ils vouloir lâcher prise en partant à l’autre bout de la planète ? C’est toute la question. »
Selon vous, la balance va pencher de quel côté ?
« Sincèrement, j’espère qu’il y a eu un déclic avec le Covid-19 et que les citoyens résisteront aux sirènes des pays étrangers comme l’Espagne, la Grèce ou la Croatie et de leurs offres à prix cassés de dernière minute. C’est le moment de repenser nos vacances à l’échelle locale, de picorer trois jours ici, quatre jours par là. Je suis optimiste. Quand je regarde autour de moi, je vois que les gens temporisent. Traditionnellement, juillet est plutôt mou. Il faudra voir en août et dans l’arrière-saison si la vague annoncée est déjà retombée. »
Y a-t-il des profils davantage sensibilisés ?
« Sociologiquement, je pense que ceux qui avaient déjà une conscience écologique affirmée vont se radicaliser. Ils vont essayer de trouver des formes d’escapade en phase avec leurs valeurs et synonymes d’empreinte carbone limitée, de mobilité douce, de retour à la nature environnante. De l’autre côté, il y a un autre public qui aura envie de renouer avec ses habitudes d’avant, avec une certaine exubérance. Il est possible que ce clivage donne lieu à des conflits, à des ruptures sur les points de cohabitation comme les plages. Un mégot jeté dans le sable pourra être source de tensions. J’espère qu’on laissera quand même passer les vacances avant de se taper dessus (rires)… »
A l’image de ce que l’on a observé durant le confinement avec le boom des circuits courts, pensez-vous que l’envie de soutenir les acteurs économiques locaux peut jouer ?
« Je ne crois pas à cette consommation patriotique des loisirs. Quand on va voir son producteur du coin, il y a derrière cette solidarité une démarche d’engagement pour une meilleure alimentation. Il y a souvent d’autres valeurs qui commandent l’achat. Pour les vacances, on pense d’abord confort, possibilités récréatives pour les enfants, rapport qualité-prix… La proximité sans l’offre d’expérience positive a peu de chance d’être attractive. Il faut une proposition qui mêle qualité et dépaysement. Heureusement, notre pays est d’une richesse incroyable avec pléthore de paysages instagrammables. On pourrait passer toute une vie à l’admirer. »
Quels atouts voyez-vous pour les Deux-Sèvres ?
« A l’instar d’autres départements ruraux, c’est une terre qui souffre d’un manque d’identité et de reconnaissance. Le Marais poitevin est un point d’accroche formidable mais son rayonnement est très restreint. Ce n’est pas la Bretagne ou le Pays basque et vous n’avez pas de cathédrale ou la Tour Eiffel. Malgré tout, le calme, la quiétude, la douceur de vivre peuvent parfaitement convenir à des personnes désireuses de se mettre au vert après la période que l’on vient de vivre. Par ailleurs, un territoire mal identifié n’est pas forcément rebutant. On a tous envie de sortir des sentiers battus, de se laisser surprendre, d’aller vers ce qu’on ne connaît pas. Quand je suis venu en Deux-Sèvres la première fois, je n’avais pas d’image en tête. Je ne savais pas à quoi m’attendre. Et j’ai pris une belle claque. A chaque fois que je suis revenu, j’ai été séduit, émerveillé. Vous devez le faire savoir, mettre davantage en valeur vos forces. »
Comme la VéloFrancette par exemple ?
« C’est évident. Vous avez la chance d’avoir une portion cyclable de 180 kilomètres mais qui le sait aujourd’hui ? Faire connaître un itinéraire comme celui-ci nécessite un travail de tous les jours. Il ne suffit pas de rédiger des communiqués de presse au départ et de gagner deux prix [Véloroute 2017, Itinéraire vélo 2018, NDLR] pour faire venir les touristes. C’est dans la durée qu’on mesure la dynamique d’un projet et qu’on l’installe dans l’esprit collectif. Je suis connecté avec la majorité des blogeurs influenceurs du voyage et je n’ai lu que très peu d’articles sur la VéloFrancette. Il y a pourtant sept départements concernés dont les Deux-Sèvres. En termes de gouvernance, de marketing, de promotion, il y a une marge de progression énorme à l’image de ce qui fait la réussite de la Loire à vélo. Il y a un potentiel à exploiter. »
Qui doit impulser ce mouvement ?
« Le tourisme, ce ne sont pas que des prestataires. C’est politique car l’enjeu économique est impactant. Si des élus croient en l’activité avec des retombées directes et indirectes sur leur bassin de vie, ils doivent mettre les moyens, du budget. C’est à eux de se positionner pour imposer une image de marque. »
Sauf que cette ambition a un coût et que le contexte risque de freiner ce genre d’investissement ?
« Ce n’est pas ce que je perçois au travers de notre activité de conseil auprès des collectivités locales. Il y a des réflexions de fond que nous avons engagées sur des sujets stratégiques comme la mobilité, le développement durable, la consommation collaborative. En Auvergne-Rhône-Alpes, par exemple, il est question de tourisme bienveillant. En Occitanie, il y a des études en cours qui visent à changer la donne et à privilégier un tourisme de loisirs de proximité au détriment d’une communication tournée jusqu’ici vers les Chinois au pouvoir d’achat plus fort. Tout cela va dans le bon sens mais c’est sûr que ce virage tient aux convictions des décideurs. Certains verront la crise comme un effet d’aubaine pour accélérer la transition écologique et touristique. D’autres s’en détourneront parce qu’ils privilégieront la rentabilité immédiate. A mes yeux, le monde de demain doit reposer sur équilibre entre le profit, l’environnement et le social. »
Pas en terre inconnue
Si les Deux-Sèvres ne sont pas son port d’attache, Guillaume Cromer connaît le département pour avoir échangé avec plusieurs acteurs locaux avant la disparition de l’Agence de développement touristique en mars 2018. L’idée, c’était de créer une association visant à optimiser le travail de chaque hébergement collectif de tourisme social et solidaire, à réduire les charges et à promouvoir les prestations de chacun, expose l’entrepreneur grenoblois. Une réflexion conduite avec une dizaine de partenaires. Cette collaboration s’est notamment traduite par la création d’un site internet (www.escapadesandco.fr) dédié à l’organisation de séjour de groupe sur le territoire.
Un supplément de 8 pages à lire demain
Ces dernières semaines, les journalistes du Courrier de l’Ouest se sont mobilisés pour proposer un supplément de huit pages spécialement dédié au tourisme en Deux-Sèvres. Celui-ci sera à lire demain avec votre quotidien. Poids du secteur, enjeux, idées de sorties originales, sites incontournables composeront ce support rédactionnel.